À Propos/Historique

Jean Vauquelin

 

VAUQUELIN (Jean) (1727-72), capitaine au long cours, capitaine en pied sur une fré­gate à ses frais, lieutenant de vaisseau.

Né à Dieppe en 1727, il accompagna, à l'âge de 12 ans, son père, capitaine mar­chand. En 1745, Jean émerveilla son père par son sang-froid et le courage qu'il déploya, dans une rencontre avec une frégate britannique. En 1750, il acheta un voilier pour son propre usage. Lorsque la guerre éclata, en raison de la rareté des officiers et des hommes de nier, on le rattacha à la marine royale et on lui confia le commandement de la frégate l'Aréthuse, pour croiser sur les côtes d'Angleterre.

En juin 1758, il se rend à Louisbourg, où il se distingua durant le siège. L'Aréthuse était armée de 36 canons. Le commissaire-ordonnateur Prévost écrivant au ministre, le 7 juillet, lui disait: « M. de Vauquelin est une personne qui mérite vos faveurs. Toute la colonie l'a vu se conduire en héros, entouré qu'il était de deux batteries de canons et de 18 mortiers, qui faisaient pleuvoir sur sa frégate coups et bombes, durant quinze jours; lui, il continuait à se battre et à bombarder constamment les retranchements ennemis, leur infligeant de grandes pertes et dommages, selon le rapport fait par six déserteurs anglais. Je ne puis vous cacher que les opé­rations effectives de la mer ont dépendu de l'énergique habileté de cet officier, fort ca­pable de rendre encore de plus grands ser­vices au Roi. »

En effet, il entrava ainsi l'avance impé­tueuse du général Wolfe. Quand il se sentit inutile, il sollicita et obtint, de M. de Drucour et de son Conseil, l'autorisation de passer en France pour y porter des nouvelles et y demander des secours. Comme le comte Des Gouttes voulait s'y opposer afin de retenir ses services

« Eh parbleu! Monsieur le comte, répliqua-t-il, je resterais bien si vous me donniez un de vos gros vaisseaux de guerre, qui sont ici à ne rien faire; vous verrez que j'en tirerai bien meilleur effet que de ma seule frégate. »

Le 15 juillet, la méchante frégate, portant les dépêches officielles et deux ou trois dé­serteurs, appareilla à la faveur du brouillard et de la nuit, sortit du port et fut aperçue des Anglais postés dans un phare, qui la signalèrent par des fusées à l'escadre de l'amiral Hardy; plusieurs bâtiments furent détachés à sa poursuite, à certaine distance, jusqu'à ce qu'ils la perdissent de vue dans l'épaisseur du brouillard. « Si je l'avais sous mes ordres, dit plus tard l'amiral Boscawen, je le nommerais sur-le-champ commandant de vaisseau. » L'historien de Louisbourg ajoute : « Si Vauquelin avait eu le rang du comte Des Gouttes, le sort de la ville n'eût pas été le même; en tout cas, la défense eût fait plus grand honneur à la marine fran­çaise » (V. MacLennan). L'Aréthuse accosta à Santander, le 2 août (V. Rapp. des Arch. can., 1911).

L'année suivante, l'intrépide Dieppois retourne à Québec et reçoit le commandement du port, durant le siège : il est à bord de la frégate l'Atalante.

 

Mais c'est au mois d'avril 1760 qu'il s'illustra dans le dernier épisode, dont M. de Lévis et lui furent les deux héros. Lui-même a fait le récit de l'aventure, où il seconda l'entreprise contre Québec par la bataille de Sainte-Foy.

« Je partis, dit-il, le 20 avril de la rivière de Sorel (Richelieu) — où il avait hiverné — avec nos bâtiments chargés de canons, affûts, poudres et ustensiles : la Pomone, l'Atalante, frégates, la flûte la Pie et deux bateaux chargés d'effets pour l'armée, qui partit le même jour des côtes de la rive nord. Le 28, à l'Anse-au-Foulon, où était la flûte la Marie, avec deux bâtiments et deux goélettes, chargées à Montréal, M. de Lévis ve­nait de gagner la bataille sur les troupes en­nemies, rentrées ensuite à Québec, ayant abandonné toute leur artillerie. Partie de notre flottille à l'Anse-au-Foulon, à une lieue de la place, partie à l'Anse-Sillery à une demi-lieue au-dessus de la première, on dé­barqua journellement ce dont l'armée des Plaines d'Abraham avait besoin, munitions et vivres. Les travaux avançaient.

Mais, le 9 mai, un vent nord-est nous amena une frégate anglaise de 30 canons : ce qui nous surprit, mais ne nous inquiéta point. Je demandai à M. de Lévis 60 Cana­diens pour augmenter mon équipage de 110 hommes, pour servir 11 canons de 8 et avoir un peu de mousqueterie. Le 11 au matin, nos batteries commencèrent à tirer. Le 15 au soir, on fit, de la Pointe-de-Lévis, si­gnal d'un vaisseau ennemi, le nord-est con­tinuant. J'ai fait partir aussitôt un officier en informer M. le Chevalier et lui demander ses ordres. Le 16, l'officier rapporta que j'eusse à appareiller au-dessus de la place, aussitôt que je verrai l'ennemi sous voile, car M. de Lévis avait vu un vaisseau et une frégate à l’Île d'Orléans, allant rejoindre la première sous Québec. Le même matin, ces trois voiliers remontent vers nous. Aussitôt, je donne ordre aux miens de faire voile. Par malheur, la Pomone, abattue du mauvais côté, s'est trouvée échouer dans l'Anse-au-Foulon. J'ai continué à faire route avec les autres bâtiments, mais en marchant mieux qu'eux; et la première des frégates m'approchant, je pris le parti de les faire donner dans la rivière du Cap-Rouge, à deux lieues de l'endroit d'où nous partions, pour sauver le dé­pôt par cette manoeuvre et le mettre à portée d'être enlevé par l'armée, bien persuadé que les frégates ennemies s'acharneraient à me chasser. Je fis mettre toutes voiles dehors, faisant canonner la plus proche; mais un bateau du roi et la chaloupe s'étant remplis d'eau, j'ai été obligé d'en faire couper l'amarre : celle du canot ayant déjà manqué, je me suis trouvé sans un bateau. La seconde frégate anglaise doublait presque notre sil­lage. Voyant qu'elles me joindraient sous peu, j'ai cherché un endroit commode pour échouer la mienne et sauver les équipages si nécessaires à la colonie. Le pilote indiqua la Pointe-aux-Trembles, où nous sommes ar­rivés à sept heures et demie, ayant les fré­gates à une portée et demie de mousquet derrière nous.

« La frégate ayant échoué, les deux ennemies se sont mouillées par ses travers, à demi-portée de canon, et ont fait autant de feu qu'elles ont pu. Nous avons aussi fait feu; et, pour que la frégate se tint plus longtemps droite, j'ai fait couper son grand mat. A neuf heures et demie, on s'est trouvé sans poudre, l'eau ayant gagné la soute et sub­mergé quatre barils. On s'est restreint à avoir le mousquet dans les bras et à nous munir de cartouches contre leurs canots. On cria à quelques habitants de nous envoyer un ba­teau pour débarquer; je chargeai le sieur Sabourin de préparer un artifice, pour brûler la frégate. Longtemps attendu, le bateau est enfin venu, dans lequel il s'embarque le plus de monde possible, et on leur donna un bout de cordage pour faire un va-et-vient; mais, arrivés à terre, ils ont largué (lâché) le cor­dage et laissé le bateau prendre la fuite, de sorte que, comme il y avait marée descendante il s'est trouvé à sec, nous isolés sur la frégate, qui commençait à donner un grand gîte (lieu où un bateau est échoué).

« Alors j'ai réfléchi sur le projet de la brûler, et ayant combiné comme elle était crevée et hors d'état d'être renflouée, j'ai pensé mieux de ne pas le faire, ayant espoir d'en sauver plus tard canons et ingrédients utiles à la colonie. Mais l'ennemi continuait son feu, tuant et blessant toujours quelqu'un. La frégate a toujours tombé, couchée au point de ne pouvoir presque plus se tenir sur le pont : je fis couper le mat de misaine.

« La nécessité de faire descendre nos équi­pages et nos blessés à terre nous a fait faire un mauvais radeau, qui débarqua 12 à 15 hommes, lesquels remirent le bateau, échoué par la faute des premiers sauvés : avec lui, on continua le débarquement, tandis que l'ennemi recommença son feu. Il res­tait encore un voyage à faire, lorsque, à une heure et demie, les canots anglais vinrent à bord : nous les avons laissés monter et j'ai été fait prisonnier avec cinq de mes officiers : les sieurs Sabourin et Thomas lieutenants, Deshaies enseigne, Chaumillon écrivain et le sieur Bassens aumônier, ainsi que 6 hom­mes de l'équipage.

« Nous avons été conduits, moi et le sieur Sabourin, à bord du sieur de Schomberg, capitaine de la Diane, armée de 32 canons; les autres officiers ont été mis à bord de M. Deane, commandant le Lowestoff, armé de 24. J'ai prié le premier d'envoyer un parle­mentaire pour débarquer à terre les blessés du bord : ce qu'il a fait de la meilleure grâce du monde. Nous ignorons au juste le nombre des tués et blessés; mais cela va au moins à 43 hommes et la plupart des blessés le sont dangereusement, excepté les sieurs Sabourin, Thomas, Deshaies et moi qui le sommes légèrement. Puis ils ont envoyé leurs canots à bord de l'Atalante pour en tirer choses de quelque utilité; mais ils sont revenus tels qu'ils y étaient allés, ayant trouvé les cor­dages hachés, les voiles brisées et en pièces.

« M. Schomberg m'a dit avoir tiré 500 coups de canon et M. Deane 350. Le capitaine en­voya, le lendemain 17 mai, mettre le feu à bord de l'Atalante. » (V. Abbé Casgrain, Coll. des manus. du maréchal de Lévis, t. XI.)

Quoi que M. Faucher de Saint-Maurice ait affirmé des égards du commodore Swanton du Vanguard envers le prisonnier, il est avéré qu'il était rapatrié au port de La Rochelle, le 9 du mois d'août suivant (V. Rapp. des Arch. can., 1911).

D'après les Archives de la Marine, la pre­mière commission officielle que reçut le com­mandant Vauquelin était celle de capitaine de brûlot, le 5 novembre 1761, puis celle de lieutenant de vaisseau le 1er octobre 1764. Ses états de service (pièce aux Archiv. Na­tion.) ajoutent : 21 campagnes, avant d'entrer au service, 3 combats, 2 contusions, plusieurs commandements : en 1761, a commandé la flûte la Bricole, du Havre à Rochefort; en 1765, la flûte la Coulisse, sous M. de Vendes Turgot, capitaine de vaisseau, à Cayenne, à la Martinique, à Saint-Domingue, désarmant le 3 juin; en 1766, la flûte la Garonne aux îles de France et Bourbon et a été chargé de différentes missions pendant cette campagne, en 1767-68, désarmant à Brest en dé­cembre 1769, où il a été porté des plaintes contre lui — pour avoir traité quelques nè­gres à son bénéfice —; en 1770, ordre du mi­nistre, duc de Praslin, de l'enfermer au châ­teau du Taureau (estuaire de Morlaix), durant trois mois, puis à Nantes; remis en li­berté, il se rend à Rochefort, en octobre 1770 et 1771; en 1772, le 4 août, nommé au com­mandement de la gabarre la Faune, armée à Lorient, il tombe malade à Nantes, obligé de retourner à Rochefort, où il meurt le 10 no­vembre 1772.

Un monument lui a été érigé à Montréal et un autre à Dieppe, en vertu d'une souscrip­tion faite au Canada, le 14 septembre 1930.

Source : Louis LE JEUNE, «Jean Vauquelin», dans Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. II, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931,  829p., pp. 768-770.

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© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College